Blog de Postskript

Les règles de la fiction selon Edith Wharton

Posté le 25 juillet 2008 dans la catégorie écriture par Céline Servais-Picord

Qui mieux qu’un grand écrivain peut donner des conseils utiles à ceux qui souhaitent écrire ? Edith Wharton livre ses réflexions dans son essai Les Règles de la fiction.

En voici un extrait, qui traite de la différence entre nouvelle et roman. Jusque dans son analyse, Edith Wharton reste une grande styliste qui parle de la littérature avec des images :

En traitant de la nouvelle, j’ai peut-être eu l’air de trop insister sur la nécessité de tenir compte de tous les détails du plan et de développement ; pourtant, la nouvelle est une improvisation, le réceptacle passager d’une imagination vagabonde, comparé au monument carré, avec des fondations profondes, que devrait être le roman.

La poésie des parenthèses

Posté le 27 mai 2008 dans la catégorie littérature par Postskript

Céder au plaisir de raconter, quand on écrit une nouvelle ou un roman, c’est inventer et développer des histoires qui s’enchâssent, se télescopent… Dans son essai Henri Matisse, roman, Aragon fait l’éloge de l’écriture discontinue, des parenthèses qui éclatent l’histoire et ouvrent sur une infinité de possibles. L’art de la digression consiste à laisser libre cours à l’imagination créatrice: c’est un excellent moyen d’exercer son style.

Au fond, la parenthèse est une invention de l’homme, laquelle est de la sorte même des romans, à y regarder de près. [...] Par exemple, Don Quichotte n’est en réalité en tant que roman rien, si ce n’est l’histoire de l’ingénieux Hidalgo et de Dulcinée du Toboso, tout le reste n’étant que parenthèses, labyrinthe de parenthèses, où des miroirs habilement placés font soudain apercevoir, fugitive, l’image de Dulcinée, ou la Triste Figure du Chevalier, on croit y être, et puis voilà qu’une histoire, sans rapport avec les amours dites, nous entraîne parenthétiquement dans un théâtre inattendu.

[... Dans les adaptations au cinéma] le roman, allégé de tout ce qui n’est pas «nécessaire» à l’histoire principale, devient une pierre lourde, et roule dans le puits. La parenthèse en est ce que l’on appelle aussi bien la poésie. Le merveilleux inutile.

Aragon, Henri Matisse, roman

L’enfer vu par un soupirail

Posté le 22 avril 2008 dans la catégorie littérature par Céline Servais-Picord

Dans les Diaboliques (« Le Dessous de cartes d’une partie de whist »), Barbey d’Aurevilly emprunte la voix de l’un de ses personnages pour parler des crimes secrets, dont on ne fait que deviner l’existence : « Ce qui sort de ces drames cachés, étouffés, que j’appellerai presque à transpiration rentrée, est plus sinistre, et d’un effet plus poignant sur l’imagination et le souvenir, que si le drame tout entier s ’était déroulé sous vos yeux. Ce qu’on ne sait pas centuple l’impression de ce que l’on sait. Me trompé-je ? Mais je me figure que l’enfer, vu par un soupirail, devrait être plus effrayant que si d’un seul et planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier ».

Ces phrases de Barbey sont riches d’enseignements pour tous ceux qui écrivent des fictions, même lorsqu’il n’est pas question de crimes secrets. Suggérer plutôt que tout montrer, laisser à l’imagination du lecteur la liberté d’interpréter ce qui n’a été qu’aperçu, voilà sans doute une des clés d’un bon texte.

Le besoin d'écrire

Posté le 31 décembre 2007 dans la catégorie écriture par Hubert Heckmann

Paul Valéry note dans Tel Quel que « la littérature est pleine de gens qui ne savent au juste que dire, mais qui sont forts de leur besoin d’écrire. » Cette remarque paraît bien sévère au premier abord : le poète semble condamner une forme de vanité de la littérature.

Cependant, dans un article de Figures I, le critique littéraire Gérard Genette nous invite à reconsidérer cette déclaration sous un jour plus positif : le « besoin d’écrire » est assimilé par Valéry à une « force ». Une force vide, puisque le besoin d’écrire prime ici sur l’envie de communiquer un message ou un sens. Mais cette force est essentielle pour mener à bien un travail de création littéraire.

Certains passages des meilleurs romans, certains des plus beaux vers des poètes agissent sur nous sans nous apprendre grand chose. Il ne faut pas toujours avoir quelque chose à dire pour se mettre à écrire, et à l’inverse, certaines œuvres sont gâtées parce que l’auteur veut trop en dire. Le besoin d’écrire sans savoir quoi laisse libre cours à l’imagination, à la fantaisie, à la création. C’est cette force-là qui permet à l’écriture de rester un art, libre par rapport aux concepts comme l’est la musique, alors que la tentation est toujours grande, quand on manipule des mots, de se laisser enfermer dans un message, dans le carcan des idées.